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La queste de Sire Olivier de Saint-Omer- texte intégral
Pour votre plus grand plaisir, je vous livre le texte intégral de la Queste de Sire Olivier de Saint-Omer, en un seul tenant. C’est en fait le texte initial que j’ai scindé en plusieurs parties pour y ajouter la « saga du Professeur Mars-El ». Revoici donc le texte original sans coupure. Entrez donc dans l’histoire et prenez plaisir à suivre:
Oyez, oyez
Or donc, il arriva en ce jour du mois de Juin de l’an de grâce 1201 de notre Seigneur Jésus-Christ que le fier et noble bachelier Sire Olivier de Saint-Orner fut victime d’un enchantement et vit disparaître sur le coup ses armes et sa monture, et ce avant d’être armé chevalier.
Grandement en fut-il marri et nous, ses fidèles serviteurs en avions également le cœur navré.
Fort heureusement, le ciel veillait sur nous et une nuit, Notre Dame, la bonne Sainte Vierge lui apparut, lui enjoignant de ne pas désespérer et de se rendre diligentement en la bonne ville de Reims. Là, il devrait prouver sa valeur et montrer qu’il serait vraiment digne de devenir chevalier. S’il voulait retrouver ses armes, grandes épreuves devrait-il traverser et grands périls affronter.
Et c’est à nous, ses humbles serviteurs, que reviendrait le redoutable privilège de lui être et témoins, et compagnons d’armes pour servir le Grand Œuvre.
Ce fut vraiment grand honneur qui nous échut là, et nous nous mîmes en route sans plus tarder, en grand équipage et partîmes rejoindre notre bon sire qui nous avait précédés et qui était parti bien avant. Nous arrivâmes au bord de la ville. Quand il nous vit, il nous fit bon accueil.
- Grand merci à vous, nobles dames et gentils compagnons, fit-il, de m’accompagner dans ma queste. J’ai craint un moment de me retrouver seul et abandonné, mais Notre Dame vous a divinement inspiré en vous envoyant vers moi. Recueillons-nous un moment afin de la remercier et de solliciter son aide tout au long de notre parcours.
Nous nous recueillîmes donc un moment, puis Sire Olivier donna enfin le signal du départ:
- A présent, mettons-nous en route, car le jour s’avance.
En arrivant en bordure d’un palais, Sire Olivier aperçut une noble dame couronnée, qu’il salua fort courtoisement:
- Gente princesse, je vous salue. Puisse le ciel vous accorder bonne vie et place en paradis.
- Soyez-en remercié, gentil bachelier, répondit-elle en retour. Est-il quelque chose que je puisse faire pour vous?
- En vérité, madame, un méchant sortilège m’a privé de mon armure et de mes armes avant que je sois à même de servir notre Sire le Roi.
Une vision m’a conduit à vous et m’a assuré que vous pourriez me mettre sur la voie. Au nom de notre Seigneur Jésus Christ, je sollicite votre aide car me voilà dans le plus grand embarras.
- Noble bachelier, vous êtes celui qui devait m’être envoyé et je puis en effet vous aider. Mais avant cela, vous devrez être mis à l’épreuve et prouver votre valeur.
- Gente dame, pour l’amour de notre Seigneur, j’endurerais mille morts. Parlez, et j’obéirai.
- Pour l’heure, vous devrez faire un choix qui engagera votre vie toute entière. Vos compagnons devront également se soumettre à l’épreuve. C’est seulement par la suite que vous pourrez continuer votre chemin. Etes-vous prêt?
- Je suis prêt, affirma-t-il.
Elle nous demanda également si nous étions prêts à suivre notre seigneur. Oui-da, nous étions prêts et nous le criâmes bien haut et bien fort.
Alors, la princesse prit une paire d’éperons, ainsi qu’une bourse remplie de pièces d’or, et les présenta à Sire Olivier.
Celui-ci était bien embarrassé et nous de même. Chacun s’interrogeait et interrogeait son compagnon. L’un était d’avis d’emporter la bourse et l’autre disait que c’était là diablerie et qu’on ne pouvait se fier à si belle figure. Cela donnait ceci :
- Voilà une bourse qui sera fort utile pour nos dépenses!
- Oui, mais n’y a-t-il pas là piège du Malin? Beaucoup se sont gâté l’âme par amour de l’or.
- Que ferait-on de ces éperons? Ce sont eux qui nous donneront à manger?
- Moi, je ne sais pas et j’attends de voir venir.
Notre voyage commençait bien! Comment bien conseiller notre bon sire avec des avis aussi contraires? Et la princesse qui lui tendait derechef la bourse et les éperons! Qu’allait faire Sire Olivier?
Finalement, après un instant de réflexion, il choisit les éperons.
La Dame couronnée acquiesça avec un large sourire:
- En vérité, noble bachelier, vous avez choisi sagement et vous avez fait preuve de discernement. Rares sont ceux qui ont su choisir entre richesse illusoire et richesse vraie. Cette bougette ne vous aurait fait que peu d’usage. Notre Sire le Roi sera bien secondé.
Mais il vous faut également de quoi harnacher votre monture. Aussi, je vous prie d’accepter cette lettre de change qui vous permettra de vous fournir auprès de l’armurier royal lui-même.
Elle lui tendit un parchemin et reprit :
- Vous pouvez continuer votre chemin, noble sire. Mais auparavant, allez donc remercier Notre Dame la Sainte Vierge en sa cathédrale, qui si bien vous conseilla et vous conseillera bien encore si vous tenez ferme.
- Et ainsi ferai-je, noble Dame. La paix soit avec vous. Mais avant de nous quitter, savez-vous où je pourrai trouver le reste de mes armes?
- Lorsque vous serez à la place du Roi, fit-elle, mystérieuse, un lion vous répondra.
Notre sire la salua respectueusement, puis nous fîmes tous procession pour aller remercier notre bonne Sainte Vierge. Trois fois nous fîmes le tour du dehors, puis trois fois du dedans, en entonnant des cantiques d’allégresse, nous laissant emporter l’âme par l’ambiance mystique de ce lieu sacré.
Mais l’heure du repas approchait et chez certains, messire Gaster se rappelait à leur attention. Nous entamâmes sans plus tarder les rôtis et les pâtés, ainsi que le bon pain de froment que nous avions emporté dans nos bagages, sans oublier de dire les grâces, et fîmes honneur aux barriques de vin qu’un compagnon eut la bonne idée d’emmener.
Phébus dardait ses rayons sur nous tandis qu’un oiselet guilleret nous régalait l’ouïe de sa mélodie enchanteresse. En vérité, nous étions bien, et notre repas bien garni commençait à faire ses effets. Déjà, certains dormaient benoîtement et se mettaient à ronfler. Mais l’heure s’avançait et il fallait reprendre la route.
L’un de nous demanda:
- Noble sire Olivier, n’est-il pas grand temps de repartir? Il nous faut trouver ce lion qui nous mettra sur la voie.
- C’est bien conseillé, compagnon, concéda notre sire. Allons, remettons-nous en chemin!
- Mais où est ce lion dont la dame nous a parlé?
- Te souviens-tu de l’énigme?
- Aller à la place du Roi. Au palais, donc. Mais y trouverons des lions? Notre Sire n’aime que les chiens. Peut-être sous le trône, qui sait? Il y a bien des lions sculptés, mais jamais on ne nous laissera commettre un tel sacrilège!
- Ta raison t’égare, mon bon. Place du Roi, c’est Place Royale. Quant au lion parlant que nous y trouverons, et bien… Advienne que pourra!
Péniblement, lourdement, nous nous remîmes donc en route. Après avoir fait bien du chemin, nous arrivâmes devant une fontaine. Voilà qui serait bien pour faire boire les chevaux. Devant elle se trouvait une femme, qui semblait attendre on ne sait quoi ou qui. Elle était richement parée et ne se gênait pas pour dévoiler ses « avantages ». Bien des yeux s’allumèrent, car nous avions compris ce qu’elle faisait ordinairement. Lorsqu’elle aperçut Sire Olivier, elle fit la plus gracieuse des révérences.
- Bonjour à vous, gentil bachelier, dit-elle dans un grand sourire. Belle journée, en vérité. Désirez-vous vous délasser? Je connais un endroit fort agréable, ma foi, ou de belles dames se feraient grande joie de vous accorder tout ce que vous désirez. Et si moi-même, je puis vous être agréable…
Sire Olivier ne répondit pas, car il était fort troublé. On l’aurait été à moins devant si charmant tableau. Mâtin la belle fille!
Notre Sire Olivier avait été formé à la dure école des armes et il avait trempé son corps et son esprit à toutes disciplines. Rarement avait-il eu l’occasion de goûter aux délices de la vie. On raconte même qu’il n’avait jamais connu femme ou pucelle. Et voilà qu’une fille folieuse lui tombait tel un cadeau du ciel. Grand prodige, en vérité. Allait-il enfin succomber? La donzelle avait un je-ne-sais-quoi qui chavirait l’âme et les sens.
La belle se faisait plus insistante:
- Allons, noble sire, vous n’allez pas faire l’affront de refuser mon hospitalité! Ma maison est accueillante et mes gens fort dévoués envers les braves et nobles soldats. Dites un mot, parlez, par la grâce de Dieu!
Après un moment, Sire Olivier prit une grande respiration:
- Dame, soyez remerciée pour votre hospitalité. Mais je ne puis accepter ce que vous m’offrez si … généreusement. En vérité, ce serait grandement offenser le Seigneur que d’offenser dame ou pucelle. Je devine qu’on vous a contrainte à exercer ce vilain métier. Parlez sans crainte, dites qui vous force. Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, je châtierai les coupables et vous rendrai votre honneur!
Dès lors, la belle changea complètement d’attitude. Comme par magie, d’autres vêtements la recouvrirent, lui donnant allure plus noble.
- Doux Sire, lui dit-elle enfin, point n’aurez besoin d’en arriver là, car ce que vous voyez là n’est qu’apparences et masques, et vous avez bien passé l’épreuve. Vous avez su domestiquer vos appétits sensuels et faire preuve de chasteté.
Vous avez prouvé que vous étiez digne de votre titre. En vérité, votre noblesse et votre grandeur d’âme m’ont touchée à ce point que je désire être à vous et à nul autre.
- Noble Dame, votre offre me trouble plus encore, mais je dois encore refuser. J’ai fait serment de ne point prendre épouse et de me consacrer à notre Seigneur et à Notre-Dame, Madame Marie.
J’en ai le cœur tout navré car j’éprouve pour vous un sentiment qui ne vient pas de la chair. Mon esprit en est tout exalté, comme si je touchais à la suprême félicité.
- Ce sont nos âmes qui ont communié. Et ce dont vous parlez s’appelle l’Amour. Un amour épuré, sincère et vrai. Un de ces amours terrestres qui touche à l’Amour Céleste.
- Dame, je vous serai fidèle à jamais. Mais je dois également respecter mon serment. Aussi, pourquoi ne pas nous lier par le serment du sang? Nous serons plus proches que frère et sœur, et nous resterons tous deux purs.
- Qu’il en soit ainsi!
Et ainsi fut fait. Sire Olivier et la Darne s’entaillèrent chacun le doigt et mélangèrent leur sang. Puis elle lui demanda d’attendre un moment et rentra dans une petite maisonnette, bien coquette et bien proprette. Elle en ressortit, portant un heaume et des jambières, ainsi qu’une épée qu’elle remit à notre Sire.
- C’était l’épée de mon père. Il a combattu vaillamment toutes les forces du mal et me l’a remise pour l’offrir au chevalier qui serait digne d’elle. Elle vous aidera à débarrasser notre bonne ville d’un brigand qui infeste nos rues et nous rend la vie dure.
-Madame, je jure de me montrer toujours digne d’elle et de votre confiance. Mais avant de repartir, je dois trouver un lion qui me mettra sur la voie. Où le trouverai-je?
La Dame l’emmena devant un lion de bronze, de l’autre côté de la fontaine.
- Voici votre lion, beau bachelier. Interrogez-le.
Comme notre sire n’y entendait goutte, elle reprit:
- Vous avez dompté votre lion intérieur, pour devenir vous-même un lion. Sa force et son courage vous sont acquises pour le bien d’autrui.
Mais il y a d’autres lions dans cette vie, et qui se terrent dans leur tanière. Le brigand dont je vous ai parlé est de ceux-là. Allez, et faites bonne justice. Le lion vous montre le chemin.
Or, le lion en question regardait vers la prochaine ruelle, sombre, tortueuse, inquiétante, telle la Cour des Miracles de Paris. En tournant et retournant, elle aboutissait à des souterrains si nombreux et si profonds qu’une armée entière pourrait s’y abriter des années durant sans qu’on puisse la retrouver.
C’est là que se terrait Philippe le Terrible, chef de tous les brigands de la région, et qui en avait fait son fief.
La légende veut qu’il ait été chevalier et qu’il ait forfait à l’honneur. Banni par le roi, il s’était réfugié dans ce coupe-gorge d’où il faisait régner depuis la terreur. Même les sergents du roi le craignent et n’osaient investir ses quartiers, plus sûrs que la forteresse la mieux défendue.
Avant de s’engager dans ce dédale, Sire Olivier se tourna vers nous:
- Mes amis, un rude combat nous attend. Celui qui vit dans cette tanière est bien l’être le plus féroce et le plus malfaisant que cette terre aie jamais portée. Je crains quelque fourberie du félon, aussi, je vous prie de veiller avec moi à la régularité du combat que nous ne manquerons pas de mener. Et si jamais je devais perdre la vie, promettez-moi de continuer ce que je n’aurai pas pu réaliser.
Dominique, son serviteur prit la parole:
- Monseigneur, en vérité, je crois que tous ici veilleront à leur devoir et ne vous failliront point. S’il le faut, nous occirons le traître si jamais il s’avisait de quelque fourberie à votre égard.
- Grand merci, amis chers et fidèles. fit notre cher et valeureux seigneur. A présent, avançons, mais restons sur nos gardes, car le scélérat nous guette sûrement.
Nous suivîmes Sire Olivier dans la ruelle d’Enfer, la bien nommée, craignant qu’à chaque détour, une armée de brigands redoutables nous assaille par surprise sans que nous puissions riposter. S’engager dans ce boyau avait été une lourde erreur, et je faillis le dire à notre sire quand nous aboutîmes à une place dégagée. Là, quelqu’un nous attendait. C’était Philippe le Terrible, ce maudit, bien décidé à nous faire mauvais sort.
- Et bien, mes nobles seigneurs! Je vous trouve bien hardis d’oser vous promener sur mes terres sans m’en avoir demandé la permission. Vous mériteriez le gibet pour un tel affront!
Sire Olivier intervint:
- Il suffit, mauvais chevalier! Nous savons comment vous avez acquis vos biens: par traîtrise et félonie. Vous déshonorez la chevalerie et vous devrez être puni!
- Ces terres, enfant, je les ai conquises de haute lutte et en combat loyal. Elles sont miennes de par le droit du plus fort et de la volonté de Dieu. Nul ne me les contestera sans périr.
- Je suis prêt à mourir pour que justice soit rendue.
- Voyez-vous ce drôle! Il veut tâter de mon épée! Je te ferai voler la tête avant que tu aie pu faire un seul geste. Alors, renonce, pendant qu’il en est encore temps. Et ne crois pas que j’épargnerai tes compagnons. Je ne crains rien ni personne!
- Laisse mes amis en dehors de notre querelle et bats-toi, lâche!
- Un combat singulier? Soit! Je relève le défi. Mais pas ici. A trois lieues d’ici se trouve un endroit dégagé où nul ne nous dérangera. Mais il faut que tes compagnons s’engagent à ne rien tenter, quoiqu’il arrive.
Il se tourna vers nous et nous ordonna:
- Jurez!
Sire Olivier nous regarda et acquiesça. Il nous fallut donc tous jurer.
- Bien, reprit le brigand, j’ai votre parole. Faisons diligence, car je veux rentrer pour souper. Chez moi, bien sûr. Toi, beau bachelier, tu souperas ce soir chez messire Belzébuth.
Le félon enfourcha une monture qu’une de ses âmes damnées lui amena puis partit prestement vers la forêt. Sire Olivier n’eut d’autre recours que de le suivre, accompagné de son fidèle serviteur, nous laissant là avec nos charrettes et nos bagages que nous avions laissés à l’entrée de la ruelle d’Enfer. Il nous fallut rebrousser chemin et sortir de la ville par une autre porte, tant bien que mal, nous hâtant pour ne pas laisser notre sire tout seul.
Nous parvînmes après deux bonnes heures dans une petite clairière où nous eûmes la joie de retrouver Sire Olivier en un seul morceau. Au moins, le traître tenait parole. D’ailleurs, il vint nous rejoindre par un autre chemin, seul, arrogant, tellement sûr de sa victoire qu’il n’avait même pas pris la peine de se faire accompagner. Plein de morgue, il s’adressa à notre bon sire en ces termes:
- L’endroit est-il à ta convenance, enfant?
- Certes. Mais pour faire bonne mesure, mes hardis compagnons formeront eux-mêmes l’enceinte. Ainsi combattrons-nous en champ clos. Y es-tu?
- Il suffit! Battons-nous enfin!
Ils se ruèrent l’un sur l’autre, frappant d’estoc et de taille, tenant leur épée à deux mains. Le brigand était d’une force peu commune et de plus, il avait la pratique du combat, ce que, malheureusement, Sire Olivier ne possédait pas bien.
Mais il avait pour lui la bravoure, la noblesse d’un cœur généreux et le courage du lion. De plus, Notre Dame la Vierge et tous les anges et les saints du paradis étaient à ses côtés.
Il se battait bravement, vaillamment, mais commençait à perdre pied. Le brigand, lui, semblait de plus en plus fort à chaque coup et Sire Olivier avait du mal à faire front.
Il était prêt de succomber quand il se rappela le doux visage de sa Dame. Celle-ci, toute en prières, l’encourageait de chez elle. Voyant cela, un ange du paradis vint apporter sa prière jusques à notre Seigneur Jésus-Christ qui fit souffler sur lui son esprit et lui restaura toutes ses forces. Cela, c’est la pure vérité.
Finalement, Sire Olivier parvint à vaincre le mauvais guerrier et à le désarmer. Celui-ci tenta de faire front bravement et lança un dernier défi :
- Et bien qu’attends-tu? Achève ce que tu as commencé et tue-moi, puisque tu en as le pouvoir. Un peu de courage!
Sire Olivier resta un moment silencieux, puis il reprit :
- Ta vie n’appartient qu’à notre Seigneur. Te tuer ne rendrait pas justice à ceux que tu as outragés. Il faut que tu sois jugé en toute équité. Je ne chercherai donc pas vengeance.
Tu m’as demandé de faire preuve de courage, et bien le courage, c’est cela: renoncer à la vengeance pour laisser place à la justice. Et c’est assez causer pour ce jour. Allons, compagnons. Confions-le aux prévôts du roi et continuons notre route.
Il confia l’épée à un des compagnons pour le garder comme trophée, et deux d’entre nous allâmes livrer le félon aux sergents du roi qui se firent un plaisir de l’accueillir en leur hostellerie.
Mais nos épreuves n’étaient pas terminées, loin de là. Jusqu’à présent, il avait suffit de braver des obstacles qui mettaient le corps en jeu.
Or, le combat qui s’annonçait maintenant était encore plus redoutable que l’autre, puisqu’il s’agissait d’un combat de l’esprit. Notre noble seigneur avait entendu parler d’un terrible sorcier qui vivait au cœur d’une étrange forêt. Il était très puissant et pouvait foudroyer d’un seul regard. Le pacte qu’il avait passé avec le Démon le rendait invincible. Nul, jusqu’à présent n’avait osé l’affronter et seul notre cher Sire Olivier avait décidé d’en finir.
Aussi, avait-il besoin plus que jamais de notre secours, car les forces démoniaques étaient encore plus redoutables que les plus redoutables brigands, comme Philippe le Terrible.
Après nous être recueillis un instant, nous allâmes rejoindre Sire Olivier, qui avait de même fait oraison, un peu à l’écart.
- Chers et loyaux amis, nous dit-il, l’épreuve qui vient s’annonce rude. Jusqu’à présent, vous n’avez pas encore failli et si Dieu veut bien nous prêter vie, c’est ensemble que nous vaincrons; et c’est ensemble que nous atteindrons le but.
Cependant, si l’un de vous doit renoncer, qu’il sache dès à présent qu’il ne lui sera pas tenu rigueur et qu’il aura droit à notre gratitude éternelle. En est-il qui désirent abandonner?
Personne ne répondit. Et qui ne dit mot, c’est qu’il consentait. Notre Sire Olivier en fut ravi et reprit ainsi:
- Soyez tous remerciés de votre indéfectible soutien. A présent, sus au sorcier!
Nous nous enfonçâmes dans la forêt, à la recherche de ce maudit magicien noir. Le décor était fantastique, et au fur et à mesure que nous marchions, les arbres devenaient de plus en plus tordus et rabougris, comme si un mauvais sort leur avait été jeté.
Assurément, c’était là le domaine de Satan, et il fallait bien du courage pour oser l’affronter sans le viatique de la prière. Mais le Seigneur était avec nous et nous serions vainqueurs!
Nous nous retrouvâmes comme par enchantement dans une petite clairière, devant une petite cabane où sortait de la fumée. Assis sous un hêtre tout tordu, une lance dans la main, un être tout aussi chétif et rabougri nous attendait.
Il était vêtu simplement, tout en noir. Avec son crâne dégarni et ses cheveux qui pendaient sur les côtés, il faisait penser à un charognard. Ajoutons à cela qu’il avait le nez proéminent, le menton en avant et que son regard brillait comme escarboucles.
En nous voyant arriver, il se leva et nous salua fort courtoisement.
- Mes nobles seigneurs et gentes dames, soyez les bienvenus dans mon humble domaine. Les visiteurs sont si rares! Grand honneur me faites, mes seigneurs, grand honneur me faites, et vous nobles dames!
Mais je vous en prie, avancez! J’attendais votre venue. Mieux, je l’espérais.
S’adressant à Sire Olivier:
- Voilà donc le très haut, très noble et très vaillant Sire Olivier de Saint-Omer. J’ai suivi tous vos exploits, noble bachelier.
- Comment cela, l’homme?
- Oui, beau Sire. Avec les yeux de l’esprit. Grands exploits avez accompli, en vérité. Dignes d’un grand chevalier. Vous avez su triompher de tous les obstacles et prouver votre valeur. Fort bien, fort bien. Vous êtes bien digne de votre rang.
- Que signifie tout cela?
Il montrait les arbres tordus.
- Ces arbres? Oh, simple caprice de jeunesse. Ils ont obéi à ma seule volonté. Grâce à ma science, j’ai pu me rendre maître des forces d’en bas. La nature n’a plus aucun secret pour moi et j’ai pu atteindre la plus haute connaissance qui soit. Et depuis, j’ai cherché partout un disciple qui soit digne de la recevoir à son tour.
C’est pourquoi, quand j’ai senti votre présence, j’ai su que vous parviendriez jusqu’à moi. Il me suffisait de vous attendre.
- Sorcellerie! Blasphémateur! Suppôt de Satan!
- Oh, noble seigneur, ne croyez pas cela. De méchantes gens vous auront abusés. Les médiocres ne peuvent que salir ce qui les dépasse.
Je sais que votre route ne s’arrêtera pas ici, et je connais le but de votre quête. Mais vous aurez besoin de tous les atouts pour triompher. Il vous faudra commander à la nature pour commander aux autres, et pour être leur providence. Qu’est-ce qu’un seigneur, s’il ne peut assurer aide et protection à ses sujets?
Vous devrez être au dessus du bien et du mal si vous voulez juger sagement. Mais pour cela, vous avez besoin de la connaissance que moi seul consens à vous offrir, puisque tant vous la méritez. Elle demandera de nombreux sacrifices et de nombreux efforts, car il faudra payer le prix. Mais c’est la seule voie si vous désirez vous élever encore.
Sire Olivier était fort troublé et se mit à réfléchir:
- Maîtriser les forces inférieures … Du pain pour les pauvres… La justice pour tous… Me serais-je trompé?
Je croyais trouver un être maléfique et me voilà face à un ermite… Par tous les saints du Paradis, le bonhomme n’est pas commun… Il est presque plaisant, même… Qui sait quelle sagesse il a acquise et par quelles macérations il est passé…
Son regard se perdait dans le vague. Pendant ce temps, le sorcier se rapprochait tout doucement de lui, et semblait le charmer insensiblement. Et nous, ses fidèles compagnons, sentions petit à petit les pensées nous fuir, puis les sensations. Seul un délicieux engourdissement nous saisissait chacun notre tour.
- En vérité, noble sire, reprit-il, c’est la Divine Providence qui vous a envoyé devers moi pour que j’achève votre formation. Obéissons donc à sa volonté, vous et moi. Ne repoussons pas notre destinée. Vous êtes promis à de hautes choses. Ma plus grande gloire aura été de vous aider à vous y préparer, et vous, à y parvenir.
Sire Olivier ne bougeait plus et son regard était vague. Le triomphe du sorcier était total, et nous, nous ne pouvions plus rien faire. Il s’adressa à nous en ces termes:
- Et vous, braves compagnons qui avez si bien soutenu Sire Olivier, vous aurez sa destinée en partage. Tout ce qui sera sien sera également vôtre. Et quand il atteindra aux plus hautes récompenses, vous serez là. Et quand on chantera ses hauts faits, pourrez-vous dire également: »j’étais là ! »
Plus rien ne bougeait. Ah, ce regard pénétrant et envoûtant et cette voix de miel et de velours! Etait-il possible d’échouer aussi lamentablement? J’essayais de bouger et mon regard se posa par hasard sur le sol. Le mauvais avait profité de notre inattention pour tracer des signes magiques, plus efficaces que des lacs, et qui nous empêchaient de nous mouvoir.
Dans peu de temps, le sorcier nous aurait à sa merci. Allait-il faire de nous les esclaves du démon, nous faire rôtir, nous faire bouillir ou tout simplement nous tuer?
Non, il n’était pas possible que cela finisse ainsi, non, non, NON!
Je ne me rendis pas compte que j’avais crié. Mais cela brisa d’un seul coup le charme et réveilla notre cher seigneur, qui était furieux.
- Ah, méchant sorcier! , rugissait-il .Tu voulais me tordre l’âme tout comme tu as tordu ces arbres! Fourbe! Sans mes braves compagnons, j’étais à ta merci et me laissais pétrir comme cire molle! Tu as oublié que notre Seigneur Jésus-Christ est avec moi et me protège de sa grâce. Ton pouvoir maléfique ne peut plus rien contre moi et ta magie est définitivement brisée. Aussi, prépare-toi à mourir!
- Tu te trompes, noble bachelier, je ne désirais que ton bien et t’aider en tout.
- Il suffit! Tu vas payer pour tous tes crimes!
Sire Olivier dégaina aussitôt son épée. Le sorcier prit peur, lâcha sa lance et s’enfuit en hurlant avant qu’on ait pu le rattraper.
Sire Olivier ramassa alors la lance, s’empara d’une cotte de maille qui était suspendue et les confia à un compagnon. Le brave Dominique intervint:
- Pourquoi ne pas l’avoir poursuivi, Monseigneur? C’était chose aisée, à présent que vous avez détruit sa magie.
- C’est pourquoi cela n’était plus nécessaire. Il ne peut plus rien contre personne, à présent. Nous avons triomphé du mal et cela doit nous suffire. Pour le moment, nous devons continuer notre chemin.
- Où irons-nous, Monseigneur?
- Dans une auberge. J’ai grand-faim.
Il était vrai que toutes ces aventures nous avaient donné grand-faim. Nous parvînmes à sortir de cette forêt maudite et finirent par trouver une auberge bien coquette. Au dehors, un brave homme semblait nous attendre. En fait, il était en train de couper du bois. Quand il nous vit arriver en pareil arroi, il se frotta les mains et nous accueillit fort civilement.
- Soyez les bienvenus dans mon auberge, nobles voyageurs! Installez-vous confortablement. Qu’y-a-t-il pour votre service, Messeigneurs?
- Sers-nous de tes meilleurs crus et régales-nous de ta meilleure cuisine, l’homme!
- Certes, nobles seigneurs et gentes dames, certes! Mais mes fourneaux sont éteints. J’ai par contre d’excellentes pâtisseries qui n’attendent que vous. Qu’en dites-vous?
- Fais-les venir que nous les tastions un peu. Et aussi de quoi les faire passer.
Le brave aubergiste fit diligence et nous fit apporter aussitôt gaufres, pâtisseries et oublies ainsi que moult pichets de vin clairet délicatement parfumés
Ce furent petites, mais bonnes ripailles, et nous entonnâmes des chants de circonstances, comme « Margoton va-t-a-confesse », « Jehan-Grand-Gosier », ou « M’en revenant de Rome ».
Pendant que nous festoyions, l’aubergiste alla trouver Sire Olivier:
- Noble seigneur, dit-il, j’ai là une lettre de change pour une selle de cheval et ses armes. Comme je n’en aurai guère l’utilité, j’ai pensé qu’elle vous ferait bon usage. Je puis vous les céder pour un prix modique.
Sire Olivier tendit alors une bourse à l’aubergiste.
- Cela suffit-il pour payer le repas et les armes?
- C’est même beaucoup trop, monseigneur!
- Allons, garde tout, brave homme. Et continue de nous faire d’aussi succulentes pâtisseries.
Une heureuse surprise nous attendait. Un chevaucheur du roi entra dans l’auberge, s’enquit de nous et nous fit assavoir que le bon roi Régis le Débonnaire avait entendu parler de nos exploits et nous mandait toutes affaires cessantes en son château, où il nous offrait le gîte et le couvert.
Vraiment, la Divine Providence veillait sur nous et, prenant congé du brave aubergiste, nous repartîmes sans plus tarder vers notre glorieuse destinée, tout en rendant grâces au ciel, à Madame Marie, à notre Seigneur Jésus-Christ et à tous les saints du paradis.
Dans les mois qui suivirent, Sire Olivier se mit au service de notre bon roi. Il était chargé officiellement de l’entraînement des gardes royaux, avec grade de capitaine. Or, notre bon roi avait grand-souci: le trésor royal était bientôt vide et on conspirait contre lui. De tous ses conseillers, notre bon roi ignorait qui était félon, et qui lui restait fidèle.
Notre Sire Olivier avait bien sa petite idée, mais il n’en laissait rien paraître et faisait mine de tout ignorer. Il attendait que les traîtres se dévoilent à lui.
Nous, ses serviteurs, tâchions de notre côté d’en savoir davantage afin de l’aider à châtier les conspirateurs. Nous parvînmes si bien à endormir leur méfiance que bientôt, nous réussîmes à rassembler toutes les preuves nécessaires.
Un beau soir, Sire Olivier reçut un message secret, lui enjoignant de se trouver à trois lieues du palais, en un lieu désert. Comme nous savions qui était du complot, il nous fut aisé d’en informer Sire Olivier qui prit toutes les dispositions nécessaires. Il chargea six d’entre nous de se poster à des endroits-clés, d’où il serait possible de tomber en embuscade.
Et au jour et à l’heure dite, Sire Olivier alla à son rendez-vous. Là, il fut abordé par cinq hommes masqués. C’étaient les propres conseillers du roi, le trésorier et le sénéchal.
- Vous vouliez donc me parler en lieu sûr, nobles sires?, leur demanda-t-il innocemment. Nous y voici. Le lieu est désert et nulle oreille indiscrète n’est là pour nous déranger. Exposez-moi ce qui vous amène céans. Parlez sans détour et faites-moi confiance comme je vous fais confiance.
Un des conseillers regarda autour de lui, s’assura qu’ils étaient tous bien seuls et lui parla enfin.
- Noble seigneur, depuis que vous êtes arrivé dans notre royaume, vous avez accompli exploit sur exploit et votre renommée commence à s’étendre par delà les terres et les mers, Mais nous voulons nous assurer que vous êtes bien celui que vous prétendez être,
Je vais parler sans détour. Quel est votre sentiment pour notre bon roi Régis?
Sire Olivier les réunit autour de lui.
- Mes amis, moi aussi je serai sans détour. J’ai le plus grand respect pour notre bon sire Régis, mais..,
- Mais?
- Mais je suis de moins en moins sûr qu’il est celui qu’il nous faut. Trop de palabres, trop de conseils, pas assez d’action. Il règne, mais ne gouverne pas. Je crains que le royaume ne finisse par tomber, si..,
Les conseillers se regardèrent, heureusement surpris. L’un d’entre eux reprit:
- C’est tout juste notre sentiment. Le roi met son royaume en grand péril et nous, ses conseillers et pairs, en sommes grandement marris. Nous avons discuté en conseil étroit et nous avons dû prendre une pénible décision: il faut déposer le roi actuel et en choisir un autre qui soit plus digne de ceindre la couronne. Et c’est vers vous que s’est porté notre choix, car en vérité, vous êtes le plus digne de lui succéder et de refaire ce royaume qui tant en a besoin.
- Mes amis, répondit Sire Olivier, toujours aussi benoît comme chat en sa litière, je vous remercie pour cette marque de confiance et d’estime, et j’espère être digne de vos vœux et de la grande tâche qui m’attend. Mais vous n’ignorez pas qu’il nous faut des subsides. Rien ne peut se faire sans réserve d’or et de monnaie.
- Noble sire, nous avons tout prévu et avons commencé à mettre le trésor royal en sûreté. Aussi, les fonds ne vous feront pas défaut,
- Alors agissons sans tarder. A l’heure qu’il est, le roi est dans sa chambre. Nous le déposerons et tiendrons conseil. Et puisque vous m’accordez votre soutien, je vous fais mes premiers conseillers. Etes-vous suffisamment résolus?
- Nous avons trop attendu, Monseigneur, et brûlons d’impatience.
- Alors, en avant, mes amis, Et que Dieu bénisse notre sainte œuvre.
Les conseillers félons partirent les premiers, suivis de loin par Sire Olivier. Arrivés au carrefour de la Croix-de-Pierre, quelqu’un cria: « Maintenant! »
Aussitôt, les six braves se débusquèrent et désarmèrent promptement les traîtres, Sire Olivier les rejoint et dégaina son épée:
- Ah félons!, s’exclama-t-il. Vous voilà enfin démasqués! Voilà des lustres que j’attends ce moment! Dans votre fol orgueil, vous avez oublié que le serment du chevalier le lie à son suzerain, que celui-ci soit bon ou mauvais. Vous oubliez aussi qu’un chevalier a juré de faire triompher la justice. Aussi, vous allez payer votre traîtrise.
Il ordonna à ses compagnons:
- Allons, menez-les devant la justice du Roi.
Les mauvais conseillers furent amenés devant le bon roi Régis, tout ligotés et incapables de bouger. Sire Olivier prit la parole.
- Votre Majesté, voici devant vous ceux qui conspiraient contre votre personne. Ce sont eux qui détournaient le trésor royal et qui s’apprêtaient à vous détrôner.
Le roi se tourna vers eux et les questionna:
- Est-ce vrai? Aviez-vous vraiment juré ma perte, moi qui vous ai comblé de bienfaits? Allons, répondez!
Personne ne répondait. Dans la foule fusaient les « A mort ! », les « Hou ! » et les « Châtiez les traîtres! »
Le roi reprit :
- Votre silence vous accuse. C’est bien, vous aurez à répondre devant ma justice. Qu’on les emmène!
Les félons furent emmenés tandis que fusaient les clameurs et les applaudissements. Le roi se leva et s’adressa à tous ses sujets:
- Mes bons et loyaux sujets, une fois de plus, ce droit et noble bachelier a prouvé sa valeur et combattu le mal qui se cachait au sein de notre palais même. Acclamons-le comme il se doit ! Longue vie au Sire Olivier de Saint-Orner! Longue vie!
L’assistance répéta « Longue vie ! »
Après que les clameurs se furent apaisées, le roi reprit:
-Une fois de plus, le ciel veille sur nous et ne nous abandonne point. Allons de ce pas faire procession et remercier le bon Sain Lié et tous les saints du Paradis. Après quoi, nous organiserons grande fête pour notre champion de toujours
Précédé des bons moines de l’abbaye, tout le monde alla remercier le bon Saint Lié en sa chapelle. Puis le bon souverain fit distribuer en ville piécettes et bon pain pour les pauvres. Il fit venir jongleurs et ménestrels et organisa en l’honneur de notre bon seigneur une petite fête en son château.
Après les ripailles, le souverain s’adressa à Sire Olivier en ces termes:
-Sire Olivier de Saint-Orner, votre loyauté et votre obéissance doivent être bien récompensées. Vous recevrez pour votre monture une gorgière, un frein et des rênes, forgés toutes exprès dans nos ateliers. De plus, il n’est plus temps de différer votre adoubement. Il aura lieu demain. Pour l’heure, vous voudrez bien faire oraison en notre basilique de Saint-Rémi.
Et vous, ses fidèles et loyaux compagnons, qui tant bien m’avez servi, il y aura grandes récompenses et grande liesse pour vous aussi. Ainsi devons-nous récompenser tous ceux qui œuvrent pour le bien de tous. Dieu vous bénisse tous!
Tous nous acclamâmes le roi: « Noël à notre bon roi Régis! Noël à notre bon roi Régis! »
Puis après nous être concertés, nous décidâmes tous d’accompagner notre sire à la basilique St Rémi.
Arrivés à la basilique, Sire Olivier nous réunit autour de lui et nous déclara gravement:
- Mes amis; c’est la première fois que je vous appelle ainsi, car vous m’avez vraiment aidé contre vents et marées, à triompher de tous les périls. Cette journée qui s’annonce sera avant tout la vôtre.
Je voulais que vous le sachiez; après cette cérémonie, j’aurai le droit d’armer chevalier tous ceux qui auront bien combattu, dans l’honneur, le courage et la dignité. Et c’est vous, fidèles entre les fidèles, qui serez mes pareils, pour continuer dans notre recherche commune, si tel est votre désir.
Le brave Dominique répondit pour nous:
- Sire Olivier, c’est plus que chacun peut espérer. C’est grande surprise et grand honneur qui nous échoit là. Redoutable, même. Aussi, vous demandons-nous une faveur. C’est la première en tout ce temps que nous avons été avec vous et vous ne pouvez nous la refuser.
- Parle, mon bon.
- Laissez-nous faire oraison avec vous. Nous voulons remercier le ciel de nous avoir épargnés de terribles dangers et de nous avoir donné un seigneur que nous avons plaisir à servir.
- Mes amis, j’allais vous demander la même faveur: prier avec moi. C’est une grande joie pour mon cœur d’avoir des amis tels que vous. Des frères, même. C’est ce que nous serons demain. Il n’y aura désormais plus de distance entre nous.
L’assemblée acclama Sire Olivier; « Noël au noble Sire Olivier! Noël! Noël! » Soudain, une petite voix s’éleva du milieu de notre groupe.
- Moi aussi je veux devenir chevalier!
C’est un enfant qui avait parlé; une petite fille qui avait l’air admirative. Sire Olivier se pencha vers elle et lui sourit:
- Jeune dame, cela ne se peut. Le noble métier de chevalerie est réservé aux hommes. Mais peut-être serez-vous un jour compagne ou mère d’un chevalier? Votre tâche sera tout aussi exaltante, car c’est vous qui l’inspirerez et participerez à sa formation.
- Et vous, comment avez-vous fait?
- Mon père, le Sire de Saint-Omer, m’a donné très tôt le goût de la chevalerie. Ma noble mère m’a enseigné aussi tout ce qu’un bon fils doit savoir, et mes maître et devanciers m’ont initié au métier des armes. J’ai du prouver ma valeur et j’ai dû affronter mille épreuves qui m’ont forgé le caractère.
J’ai affronté le mal sous toutes ses formes, combattu bien des méchants et grâce à cela, le bon roi Régis m’honore de sa confiance et de son estime. Un grand chevalier se doit d’acquérir toutes les vertus s’il veut être respecté…
Le chevalier s’arrêta net et prit conscience qu’il était en train de se vanter.
- Mon dieu, que suis-je en train de faire?, disait-il, enfouissant son visage entre ses mains. Je me glorifie moi même et je déshonore la chevalerie toute entière… Je trahis mes engagements et de plus, je suis en train de tromper cet enfant innocent… Je ne suis pas digne de porter les armes… Je suis indigne de la confiance de ma Dame et de notre bon roi… Je ne suis rien… Je ne suis plus rien… Je me suis gonflé de moi-même… Puisse le ciel me pardonner mon fol orgueil.
Le chevalier courba la tête et s’effondra sur lui même.
Ah, enfant! Devais-tu être l’ultime obstacle que devait franchir notre bon et vaillant seigneur? Fus-tu un ange envoyé du ciel pour l’éprouver, comme on éprouve l’or?
Pendant que notre bon maître gisait ainsi, l’âme tourmentée et le cœur labouré, l’enfant posa sa main sur son épaule. Et la paix descendit dans son être torturé. Et l’enfant lui dit :
- Allons, relève-toi, bachelier .Tu a pris la mesure de ta propre vanité et tu connais à présent la vraie valeur de l’humilité.
Elle lui tendit un poignard.
- Prends cette miséricorde. Qu’elle te rappelle que tu ne dois te fier qu’à Dieu si tu veux vraiment œuvrer pour le bien de tous. A présent, suis-moi.
Guidés par l’enfant, Sire Olivier et nous-mêmes, ses compagnons fûmes conduits devant le roi Régis, qui attendait dans un recoin. Il nous accueillit avec un grand sourire.
- Je vois, Sire Olivier, que tu as franchi la dernière épreuve. Jamais la princesse Gaëlle ne t’aurait conduit ici si elle ne s’en portait garante par sa présence céans. En vérité, tu es l’image vivante du vrai et pur chevalier. Par ton exemple, tu seras l’inspirateur de beaucoup. Et l’offre généreuse que tu as faite à tes compagnons de devenir tes égaux me pousse à te demander une faveur.
- A moi, Sire? Qui suis-je pour accorder une faveur à celui de qui vient toute faveur?
- Il se trouve, beau chevalier, que je suis moi-même serviteur d’une cause qui nous dépasse tous. C’est une tâche qui demande beaucoup d’efforts et de sacrifices. Il s’agit de tout faire pour que les hommes, nos frères, puissent enfin connaître la Paix Profonde et s’unir à Dieu. Voilà le Grand Œuvre dont tant on a parlé.
Cette tâche, je ne puis l’accomplir seul. Aussi, je te demande si tu veux bien travailler à mes côtés, silencieux et inconnu, au bonheur de ton prochain, sous le signe de la Rose et de la Croix?
Notre sire répondit avec enthousiasme:
- Majesté, oui, mille fois oui!
Le roi lui remit alors une Rose-Croix, ainsi qu’un bouclier.
- Alors, Frère Olivier, reçois ce nouvel emblème sous lequel tu travailleras désormais. Et que ce bouclier soit pour toi le rappel constant de la protection dont tu entoureras les faibles et les démunis.
Et vous, ses fidèles compagnons, acceptez-vous de l’aider encore et toujours dans la grande tâche qui l’attend? Acceptez-vous d’œuvrer avec mes compagnons et moi-même, sans craindre déceptions et trahisons?
Tout le monde accepta. Ce fut encore Dominique qui prit la parole:
- Sire, lorsque nous avons décidé se servir notre noble seigneur, Sire Olivier, jamais nous n’aurions pensé que notre périple nous amènerait à de si grandes choses. Ce que nous avons donné n’est rien en comparaison de ce que nous avons reçu. Et voilà que de nouvelles faveurs pleuvent sur nous. Nous serions bien ingrats si nous nous arrêtions là.
A présent, nous savons tous que quel que soit l’endroit où nous serons, les moyens ne nous manqueront jamais de faire œuvres bonnes et utiles. Peut-être, nous ne deviendrons pas tous chevaliers, mais tous, aurons à cœur de servir notre roi et notre Seigneur de notre mieux.
- Je vous en remercie tous. Allons de ce pas offrir une action de grâce au bon Saint Rémi. Après quoi, nous nous réunirons en chapitre et ferons grand banquet pour fêter notre nouvelle alliance. D’ici là, que notre Seigneur Jésus-Christ vous ait en sa sainte garde et qu’il vous accorde tous les bienfaits du ciel. Amen.
Le roi, la princesse, Sire Olivier et tous les compagnons rentrèrent enfin dans la basilique et rendirent grâce. Puis nous laissâmes notre cher seigneur seul, comme le veut l’usage.
Le lendemain, il y eut grande messe, et ce fut notre bon roi lui-même qui l’arma chevalier et qui lui remit des armes toutes neuves, fabriquées toutes exprès dans les forges royales, et du plus bel aloi.
Après quoi il y eut de grandes réjouissances et de grands tournois.
Puis ce fut notre première réunion de chapitre, où nous prîmes connaissance des vœux de notre souverain et de la nouvelle mission qui nous serait impartie. Quelques uns d’entre nous devraient repartir sur les routes du royaume et aller là où on aurait le plus besoin de nous. Avant le départ, notre bon roi fit venir tout exprès un troubadour, qui était de notre Ordre, et qui nous livra un de ses plus beaux chants.
Vous révéler le nom de notre Ordre et notre mission précise, cher lecteur, je ne le puis. Qu’il vous soit permis toutefois de méditer sur ce beau texte que vous trouverez ci-après.
Puisse-t-il vous inspirer et vous donner envie de vous mettre, vous aussi, en quête de la Rose des Sages
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